top of page

Travail hybride : des questions essentielles restent ouvertes

​

Alors que la nouvelle version des lignes directrices  (rebaptisées « questions fréquemment posées » pour l’occasion) sur le travail hybride et le temps de travail qui devrait faire l’objet d’une discussion approfondie par le Comité paritaire sur le travail hybride (CPTH) continue à se faire attendre, il est important de relancer dès à présent la réflexion sur une série de questions, d’une importance majeure pour le personnel, et qui pourraient faire l’objet de discussions dans ce cadre.

​

Pour rappel, le Comité a pour mission d’« émettre ses recommandations au directeur général de la DG HR dans le cas où il détecte des incohérences et/ou un traitement inégal dans la mise en œuvre de la Décision par les DGs. » Il doit aussi se pencher sur la cohérence des décisions qui seront prises avec les objectifs explicités dans la Décision en matière de principe d’égalité, de dimension de genre ainsi que les besoins spécifiques du personnel ayant un handicap.

​

Déjà en 2021, U4U avait élaboré 21 thèses sur le télétravail afin de lancer un débat au sein des institutions européennes et de préparer les négociations sur les Dispositions Générales d’Exécution (DGE) sur le travail hybride. Dans cette brochure, nous insistions sur le fait que le télétravail ne pouvait, dans une administration moderne qui se voulait à la fois respectueuse des besoins et de la diversité du personnel et capable d’agir de manière efficace dans un monde en mutation rapide que comme une modalité d’organisation du travail volontaire, réversible, variable, encadrée, flexible, accompagnée, maîtrisée et négociée. Nous assortissions chacune de nos revendications de propositions concrètes pour une mise en œuvre efficace dans l’intérêt mutuel et bien compris de l’administration et du personnel.

​

1. Assurer un traitement juste et égalitaire de tous les collègues, grâce à des indicateurs pertinents

 

C’est à la lumière de nos 21 thèses que nous souhaitons aujourd’hui tirer les leçons de l’expérience acquise depuis plus d’un an en matière de travail hybride à la Commission. Tirer des leçons, n’est évidemment possible que si on a la capacité d’évaluation objectivement les effets observés sur la base de critères et d’indicateurs clairs.

​

À cet égard, la question du recueil et de l’accès aux données pertinentes et de la construction d’indicateurs adéquats sur cette base est essentielle. Il faut en effet pouvoir mesurer ce dont on parle.

 

Ainsi, nous demanderons, en particulier, à recevoir des données chiffrées et précises sur les domaines suivants :

  • la proportion, par DG et par catégorie de personnel, du personnel couvert par des arrangements en matière de travail hybride,

  • la durée effective de travail au bureau et à distance, toujours par DG et par catégorie du personnel

  • l’impact sur les facteurs de risques psycho-sociaux du travail hybride (évolution de l’absentéisme, des plaintes pour raisons médicales liées aux conditions de travail), etc.

​

L’objectif de cette revendication est double :

  • Il est d’une part essentielle d’évaluer si la mise en œuvre de la décision de la Commission s’accompagne de pratiques incohérentes voire d’un traitement inégal entre DGs et catégories du personnel ;

  • Il est aussi important d’évaluer aussi objectivement que possible l’impact de la nouvelle organisation du travail en matière de bien-être au travail et de prévention des risques psychosociaux.

​

Les informations nécessaires pourront être recueillies à travers des témoignages, des données d’enquêtes ou une collecte systématique de données.

La question essentielle reste cependant de s’accorder sur ce qu’il convient de mesurer afin de nourrir la réflexion et les propositions en vue d’une éventuelle révision de la décision.

 

2. Surveiller et limiter l’impact de l’hyper-connectivité

 

Une deuxième série de questions concerne les modalités d’organisation du temps de travail et du travail hybride. Nous savons bien que celles-ci doivent être mises en place selon des critères de flexibilité et de confiance entre la hiérarchie et le personnel en tenant compte de la nature même du travail et de certaines

situations spécifiques.

​

Dans ce contexte, il faut examiner dans tous ses aspects la problématique du droit à la déconnexion c’est – à dire le droit d’un travailleur de pouvoir s’abstenir de participer à des communications électroniques liées au travail, telles que des courriels ou d’autres messages, en dehors des heures de travail mais aussi, occasionnellement, pour pouvoir se concentrer sur des projets liés au travail.

 

Dans une version précédente de ses « lignes directrices » l’administration insistait, par exemple, sur l’obligation pour le personnel d’être joignable dans les 15 minutes en cas d’appel. Ce type de proposition, a-t-il

un sens en lien avec le concept de droit à la déconnection ?

 

L’utilisation généralisée des smartphones et autres appareils numériques signifie que le fait d’être toujours « sur appel » est devenu une réalité dans de nombreux lieux de travail. Cet accès continu à distance crée inévitablement une pression pour que les employés soient constamment accessibles.

 

Une recherche récente d’Eurofound montre que si les pratiques varient dans les tats membres (même s’il n’existe pas un cadre juridique au niveau européen) et au niveau des entreprises, l’attente que les travailleurs soient disponibles à presque tout moment pour la communication en ligne ou mobile est considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé des travailleurs.

 

C’est en gardant tout cela à l’esprit qu’il faudra tenir compte des spécificités des tâches, s’accorder sur des plages horaires, mettre en place un code de conduite qui limite l’envoi de messages électroniques, et enfin donner du sens à la présence au bureau afin de préserver les collectifs de travail, l’esprit d’équipe ainsi que le partage du savoir au sein des unités.

 

Il est tout aussi important de veiller à ce que la mise en œuvre du travail hybride ne conduise à certaines discriminations liées au genre et au niveau de revenu, par exemple en termes d’accès aux équipements de base, la disponibilité d’espaces de travail autonomes sans compromettre l’équilibre indispensable entre vie professionnelle et vie privée.

 

​

3. Repenser globalement la question de la santé et de la sécurité au travail

 

La nouvelle culture de la relation au travail instaurée dans un contexte d’hyper- connectivité dont nous parlons au point précédent doit enfin être étudiée et ses effets doivent être évalués de manière appropriée afin de corriger ses impacts négatifs.

​

En particulier la question de l’atomisation des collectifs de travail et de l’isolement qui mènent à une perte de sens de la finalité des tâches confiées et à un manque d’épanouissement personnel doivent être prises en compte.

 

Ces questions devront faire l’objet de formations ciblées du personnel et de l’encadrement, notamment sur les questions liées à la prévention de la surcharge numérique, à la pérennisation de l’esprit d’équipe et à la lutte contre l’isolement.

 

Les spécialistes du droit du travail se penchent de plus en plus sur la santé et la sécurité au travail. Ces aspects pourtant cruciaux ont été quelque peu délaissés dans la réglementation en vigueur et les lignes directrices dans la mesure où ils font l’objet d’un traitement à travers des dispositions particulières.

 

Il y a donc lieu de s’assurer que ces préoccupations sont bien prises en compte, par exemple dans le cadre de la politique immobilière qui vise à comprimer les espaces de travail et à favoriser le ‘hot desking’. Cette pratique a en effet un impact psychologique souvent négatif sur les employés et n’entraîne pas de gains de productivité particuliers.

​

Par ailleurs, il est démontré dans de nombreuses études que l’intensification du travail, qui est inhérente à l’emploi des technologies de communication à distance, entraîne souvent des risques psycho-sociaux et de stress lié au travail qui peuvent être source de maladies mentales.

​

La question qui se pose est donc celle de l’humanisation du travail : une dimension éthique, visant à considérer le travail comme une source d’épanouissement personnel, semble aujourd’hui négligée.

​

​

4. Développer une vraie flexibilité profitable à l’organisation et aux individus

​

Enfin, la DGE prévoit un temps minimal de présence au bureau afin de faciliter une réflexion collective, donner le sentiment d’appartenance à une équipe voire à une institution, permettre un accueil convenable des nouveaux agents etc. Comment cela fonctionne, les deux jours de présence minimum au bureau, permet-elle d’atteindre cet objectif ? Les trois jours, au maximum, de travail au domicile permet-elle un fonctionnement efficace des équipes de travail, de surcroît dans des conditions d’hygiène et sécurité suffisantes ? La DGE n’interdit pas une application flexible de cette séparation entre travail présentiel et travail au domicile.

L’impression prévaut que l’application est rigide. Qu’en est-il en pratique ?

​

Nous avons, de plus, l’impression que la politique immobilière qui vise la réduction des bâtiments prend le pas sur la politique sur l’organisation du travail, alors que cela devrait être l’inverse.

 

Ces questions - qui sont loin d’épuiser le sujet –sont destinées à nourrir le débat nécessaire dans le cadre du dialogue social en s’appuyant sur la consultation d’experts indépendants. On n’insistera jamais assez sur les enjeux bien plus fondamentaux du travail hybride, en réalité un vaste chantier riche de potentiels et de risques pour l’avenir de la fonction publique européenne. Sa pleine réussite dépend de la capacité et de la volonté des institutions européennes de gagner l’adhésion de tous.

bottom of page